C'est l'apothéose du calvaire qui étreint son premier souffle, ceinturant son destin d'une promesse mortuaire. Mais le mal s'étiole en une joie pure face au nouveau-né qui deviendrait prince, malgré les flots de vermeil s'écoulant de la césarienne. Il lui faut quelques années pour s'ériger en digne héritier de son paternel. Des traits altiers pour un regard plein de bonté, Saturne est jeune et effervescent et c'est sans souvenirs qu'il migre vers les terres américaines. Les premiers pas sont guidés avec fermeté et détermination, car Saturne n'aura pas l'enfance paresseuse. L'Héritier se dégage dans son éducation stricte, dans son emploi du temps de roi. Fils d'un homme, devenu PDG d'une grande filiale, il voit les jouets se transformer en devoirs, les ordres au profit des caresses.
Saturne est un outil, un objet décoratif, un exemple de la réussite. Les années s'enchaînent et l'amertume grandit. Lorsqu'on le décrète Haut Potentiel - de jolis mots pour une pléthore de problèmes - l'orgueil éventre le myocarde de son père, et Saturne voit sa liberté se restreindre toujours plus.
C'est l'adolescence qui lui offre les délices de l'absolution - les hurlements, les objets fracassés contre le mur. Saturne est en détresse, cris d'alertes ignorés par ses ascendants. Le talent éclot lentement - écrasé férocement sous le joug de son paternel. Et l'artiste se meurt et se noie dans sa tristesse, s'enfonce dans le silence et la fatigue - oublie jusqu'à ses passions premières. Le décrochage scolaire arrive à la fin de son adolescence ; matières appréciées exécutées avec brio et les parodies de leçons ignorées avec suffisance.
Saturne était las. Las des ordres, las des contraintes, las de se perdre dans une personnalité mensongère. Alors secrètement, il ouvre un compte Instagram, se fait lentement connaître sur les réseaux sociaux pour ses talents de couture, jusqu'à remporter un concours. Et la porte de secours s'ouvre en grand quelques années après, sous la forme d'un contrat et d'une route vers la célébrité.